Les politiques linguistiques constituent des interventions sur la langue. Elles régissent les rapports entre les langues, le plus souvent dans le cadre des États. En les analysant, on aboutit au constat suivant. D’une part, la construction des États-nations s’appuyant sur le choix d’une seule langue pour un État, la mondialisation et l’industrialisation, ainsi que les nouvelles technologies et la géopolitique ont modifié le paysage linguistique de la plupart des pays ou régions du monde. D’autre part, il convient toujours d’établir une distinction entre les langues effectivement parlées dans un pays et la gestion officielles de celles-ci. Tous les États du monde connaissent le multilinguisme. Ils sont donc amenés à adopter des politiques linguistiques.
La politique linguistique est un ensemble de mesures qu’adopte un État à propos d’une ou plusieurs langues parlées sur le territoire relevant de sa souveraineté, pour en modifier le corpus ou le statut, généralement pour en conforter l’usage, parfois pour en limiter l’expansion. La politique linguistique peut consister à faire évoluer le corpus d’une langue en normalisant la graphie et le lexique, ou en favorisant la création terminologique. Elle peut aussi se résumer au changement du statut d’une langue en la déclarant officielle. La politique linguistique peut enfin, recréer une langue dont l’usage était perdu. Si l’on se réfère à l’histoire des politiques linguistiques menées à travers le monde, on distingue trois principales catégories : l’intervention, la non-intervention et l’assimilation.
La politiques linguistique interventionniste vise à accélérer ou à freiner l’évolution normale d’une langue ; ce qui permet de réduire la concurrence entre les langues, de l’accroître ou de l’éliminer. Cette catégorie de politique se base rarement sur des motifs purement linguistiques. Elle se rattache souvent aux projets de société formulés en fonction d’objectifs d’ordre culturel, économique et politique. Les gouvernements adoptent des mesures incitatives ou coercitives. Ils s’appuient aussi sur la puissance, l’attraction ou le prestige des langues les unes par rapport aux autres. L’intervention de l’État est le type de politique linguistique le plus pratiqué à travers le monde. Les constitutions de la plupart des pays comprennent des dispositions linguistiques. On agit sur les relations entre les langues parlées dans un État, on modifie leur statut réciproque.
Par contre, la politique linguistique de non-intervention consiste à choisir la voie du laisser-aller, à ignorer les problèmes lorsqu’ils se présentent et à laisser évoluer le rapport des forces en présence. Dans la pratique, c’est une planification qui joue en faveur de la langue dominante. C’est ce que Didier de Robillard appelle « la politique linguistique par défaut ». Un gouvernement non-interventionniste ne se pose pas comme arbitre et se garde d’adopter des dispositions constitutionnelles ou législatives vis-à-vis des langues.
Dans le cadre de la politique linguistique assimilationniste, l’État utilise les moyens planifiés qui visent à accélérer l’assimilation des minorités.
Pour la plupart des États, le choix d’une politique linguistique reste une question cruciale. En effet, les langues et le pouvoir sont étroitement liés. Les rapports hiérarchiques qui s’établissent entre les langues en contact dans une société donnée sont générés par la distribution du pouvoir. Par conséquent, toute modification de l’organisation sociale et politique implique la remise en question de la ou des langues du pouvoir, donc le changement du paysage linguistique. Dans ce cas, les États ont recours à « l’aménagement linguistique ». Didier de Robillard le définit comme l’activité scientifique intégrant souvent les acquis pluridisciplinaires compte tenu de la complexité des réalités abordées, s’appliquant à décrire, étudier, proposer des solutions et des moyens concrets pour améliorer des situations linguistiques perçues comme étant « problématiques ». En d’autres termes, l’aménagement linguistique est un processus politique et administratif destiné à modifier, soit le code linguistique (c’est-à-dire le corpus de la langue, la langue comme système), soit la distribution fonctionnelle (c’est-à-dire le statut ou le rôle social des langues) ou les deux à la fois. Selon Didier de Robillard, schématiquement l’aménagement linguistique comporte deux aspects :
– fixer les objectifs à atteindre en matière d’utilisation des langues en contact sur un même territoire national, soit de la part d’un gouvernement, soit de la part d’une institution ;
– la définition des mesures à prendre, des travaux à exécuter, des dépenses à prévoir et à assumer en vue d’atteindre les objectifs visés.
L’histoire, la construction des États-nations et la mondialisation, ainsi que les nouvelles technologies et la géopolitique ont modifié le paysage (socio)linguistique des pays africains. Confrontés au plurilinguisme, les gouvernements ont adopté des actions sur les langues dans le cadre de politiques linguistiques.
Pour les gouvernements d’Afrique, la résolution de la problématique linguistique occupe une place cruciale dans la mise œuvre des politiques nationales et du développement des différents pays. Dans quelle(s) langue(s) doivent être assurés l’enseignement, l’administration ou la justice ? Quelles langues doivent être utilisées dans les échanges économiques et les relations internationales, ou encore dans les domaines des sciences et techniques ?
Ce panel vise à analyser les situations socio(linguistiques) des pays d’Afrique. Il examine aussi la coexistence et l’usage des langues. Il étudie également les pratiques langagières, les idéologies et les représentations linguistiques. Les contributions pourront examiner, et pas exclusivement :
– les politiques linguistiques ;
– les politiques linguistiques éducatives ;
– l’appropriation et la didactique des langues ;
– les statuts des langues en présence ;
– les pratiques langagières ;
– l’analyse du discours sur les langues ;
– les représentations et les idéologies linguistiques ;
– les politiques linguistiques et le développement socio-économique ;
– les politiques linguistiques et la mondialisation ;
– les politiques linguistiques et la révolution numérique ;
– le genre et les politiques linguistiques ;
– les politiques linguistiques et la traduction ;
– les politiques linguistiques et la pratique de la médecine.
48. Les politiques linguistiques en Afrique : pratiques et enjeux
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Mots-clés: politique linguistique, aménagement linguistique, langues, plurilinguisme, Afrique.