25. leçons et questions issues de la recherche socio-anthropologique sur les maladies tropicales négligées en Afrique : tisser des liens pour une santé mondiale plus équitable.

Anna Gine
Fundación Anesvad
Berta Mendiguren
Fundación Anesvad. Grupo de Estudios Africanos de la UAM.
Arantzazu Quintana
Fundación Anesvad

Les maladies tropicales négligées (MTN) sont un groupe d’affections diverses, causées par une variété d’agents pathogènes, notamment des virus, des bactéries, des parasites, des champignons et des toxines, dont l’ulcère de Buruli, la lèpre, la filariose lymphatique, la leishmaniose, le mycétome, la chromoblastomycose et d’autres mycoses profondes, chromoblastomycose et autres mycoses profondes, le noma, la maladie de Chagas, la dengue, le chikungunya, la dracunculose, l’échinococcose, la trématodiase, la trypanosomiase humaine africaine, l’onchocercose, la rage, la gale et autres ectoparasitoses, la schistosomiase, les helminthiases, la taeniasis/cysticercose, le trachome, le pian et l’empoisonnement par morsure de serpent. Ces maladies ont des conséquences sanitaires, sociales et économiques dévastatrices.
On estime que les MTN touchent plus d’un milliard de personnes, tandis que le nombre de personnes nécessitant des interventions pour les MTN (tant préventives que curatives) est de 1,6 milliard. Les MTN sont le résultat d’une interaction complexe entre des facteurs socio-économiques, environnementaux et politiques, et sont étroitement liées aux inégalités structurelles ainsi qu’à l’héritage du colonialisme dans le monde entier. Le terme même de “Tropicale” reflète une vision biaisée et eurocentrique de la santé mondiale, un récit qui ignore le fait que les MTN touchent des communautés du monde entier et que leur prévalence est étroitement liée à des facteurs socio-économiques et environnementaux plus larges. Le terme “négligé” a également été critiqué. S’agit-il de maladies négligées ? Ou des populations négligées ?
La décolonisation de la santé mondiale passe par la reconnaissance et la prise en compte de ces inégalités structurelles, ainsi que par la remise en question des récits dominants qui contribuent à la marginalisation des populations touchées par les MTN. Pourquoi les ETD peuvent-ils nous amener à repenser notre façon d’envisager la santé mondiale ?
Les cartes de production et d’investissement dans la recherche des sociétés pharmaceutiques transnationales et des entreprises de technologie médicale révèlent l’existence de profondes inégalités. Le terme “fossé 10/90” fait référence au fait que 90 % des efforts et des ressources de la recherche biomédicale sont consacrés à des problèmes qui n’affectent que 10 % des priorités mondiales en matière de santé publique, alors que 10 % seulement de ces ressources de recherche sont consacrées à la résolution de problèmes de santé qui affectent 90 % de la population mondiale.
Ce fossé entre la recherche biomédicale et les priorités de santé publique ne doit pas être pris au pied de la lettre d’un point de vue statistique, mais il ne fait aucun doute que le système de recherche actuel est largement basé sur les incitations du marché, laissant de côté les populations les plus vulnérables. Historiquement, les MTN ont été négligées par la communauté scientifique, en raison d’un manque d’investissement dans la recherche. Le manque d’attention et de financement adéquats a conduit à une sous-représentation de ces maladies dans l’agenda mondial de la recherche, perpétuant leur négligence et affectant négativement les communautés les plus vulnérables. Cette négligence historique de la recherche en ETD est le résultat d’une combinaison du manque d’intérêt commercial susmentionné, de la complexité du diagnostic et du traitement, ainsi que d’un manque de priorité politique.
En Afrique, l’absence d’initiatives de recherche et de développement de solutions efficaces a exacerbé les souffrances des populations les plus touchées. Outre l’absence de production de preuves, la recherche sur les MTN a souvent manqué d’une approche contextualisée, ce qui a conduit à des interventions inefficaces et, dans certains cas, néfastes. La recherche socio-anthropologique peut-elle contribuer à générer des connaissances exploitables pour répondre efficacement aux défis de la santé mondiale ?
L’anthropologie médicale cherche à comprendre comment les croyances, les pratiques et les systèmes de connaissances locaux influencent la santé et le bien-être des personnes, et comment ces dynamiques interagissent avec des structures de pouvoir plus larges.
Elle met en évidence les savoirs locaux et le pluralisme médical, les multiples mémoires des MTN et de leur prise en charge, les diverses solidarités face à une vision de la maladie comme expérience individuelle et collective, qui font partie intrinsèque des sociétés africaines et de leurs expériences individuelles et communautaires de la santé, de la maladie et des soins. La recherche biomédicale a tendance à se concentrer sur les aspects biologiques et cliniques des maladies, en négligeant souvent les contextes sociaux, culturels et politiques dans lesquels ces maladies émergent et se propagent. La dichotomie entre la recherche biomédicale et la recherche socio-anthropologique implique une fragmentation des connaissances qui limite la capacité à relever efficacement les défis de la santé mondiale. Comment construire des questions de recherche qui soient pertinentes pour la politique de santé publique, appropriées au contexte et sensibles à la culture ?
Dans ce panel, nous proposons de mettre en lumière les contributions de la réunion de différentes perspectives scientifiques en tant qu’exemples de la réponse africaine aux maladies négligées. Ces exemples nous invitent à nous interroger sur les tensions entre les perspectives biomédicales et socioculturelles en tant que métaphore du dilemme décolonial des relations d’hégémonie et de subalternité entre les perspectives biomédicales et les perspectives centrées sur la personne, la famille et la communauté. Le panel se veut une invitation à explorer la manière dont les réponses africaines aux maladies tropicales négligées constituent une opportunité globale de décoloniser l’environnement de la recherche. Et nous proposons de le faire à partir d’une perspective critique du système universitaire et de recherche lui-même, nous invitant à remettre en question la composition des consortiums et des équipes de recherche, en repensant la consolidation d’une recherche plus équitable à partir de sa structure même.
La recherche en ETD en Afrique contribue-t-elle à la reproduction des inégalités structurelles et des héritages du colonialisme ? Dans le domaine de la recherche en ETD, l’héritage du colonialisme est encore palpable en termes de prédominance marquée des institutions et des experts du Nord, avec des déséquilibres implicites dans la prise de décision, la distribution des ressources et la définition des agendas de recherche. Les femmes continuent d’être sous-représentées dans les équipes de recherche, et rares sont les cas où la population concernée est activement impliquée dans toutes les phases de la recherche.
La promotion de l’équité dans la composition des équipes de recherche internationales et des consortiums permet de progresser vers une recherche plus inclusive, collaborative et axée sur les résultats, qui a un impact significatif sur la prévention, le contrôle et le traitement des MTN. Il s’agit d’une étape supplémentaire dans la reconnaissance et la prise en compte des récits et des pratiques qui perpétuent la marginalisation et l’exclusion des communautés touchées par les MTN, une étape supplémentaire dans la nécessaire remise en question des dichotomies et des hiérarchies de la connaissance.
Comment pouvons-nous progresser vers une santé mondiale plus équitable ?