15. La coopération universitaire Nord-Sud pour le développement : Vers des partenariats universitaires plus équitables

Yonatan N. Gez
CEI-Iscte, Lisbon
Ana Luísa Silva
CEsA/ISEG - Universidade de Lisboa and Forward College
Renata Vieira de Assis
CEsA/ISEG - Universidade de Lisboa

L’un des défis des relations Nord-Sud consiste à établir des collaborations significatives et plus équitables dans des contextes de fortes disparités de pouvoir. Après la disparition du colonialisme au milieu du 20e siècle, l’aide internationale au développement s’est imposée comme la pierre angulaire des conditions d’engagement asymétriques entre ce qu’on appelle le Nord et le Sud. Soixante-dix ans plus tard, les agendas et les domaines thématiques, les structures de financement et la conception des projets restent principalement axés sur les donateurs, suivant les intérêts des institutions du Nord plutôt que les priorités du Sud et conduisant souvent à des interventions qui ne s’alignent pas sur les besoins et les préférences toujours contextuels des communautés cibles (Banks et al. 2024 ; Groves et Hinton 2004). Ces hiérarchies et déséquilibres de pouvoir intrinsèques ont fait l’objet d’un examen de plus en plus minutieux au 21e siècle, ce qui a donné lieu à des appels à repenser la coopération Nord-Sud, qu’elle soit présentée sous l’angle du “développement” ou autre (Baud et al. 2019 ; Melber et al. 2024). Dans des circonstances géopolitiques changeantes, et reflétant la nécessité de relever des défis complexes en matière de développement mondial, les idées de “partenariat” et de “bénéfice mutuel” sont devenues centrales dans les initiatives de réforme abordant la coopération Nord-Sud, depuis le Forum de haut niveau de Busan de 2011 sur l’efficacité de l’aide jusqu’à l’objectif 17 de l’Agenda 2030 des Nations unies (“Partenariat pour les objectifs”). Cette dynamique est évidente dans la coopération universitaire entre les établissements d’enseignement supérieur du Nord et du Sud. Dans de nombreux contextes africains, les établissements d’enseignement supérieur modernes ont d’abord été conçus et façonnés par les administrations coloniales, puis consolidés grâce à des financements externes provenant de diverses sources liées à la coopération internationale au développement : donateurs bilatéraux et fondations occidentaux, pays du bloc de l’Est, institutions multilatérales et, plus récemment, coopération Sud-Sud (Teferra 2014 ; Arocena et al. 2015). Aujourd’hui, la structure dominante des programmes de financement provenant du Nord tend à placer les partenaires du Sud dans une position subsidiaire, les chercheurs du Nord étant les principaux décideurs et ceux du Sud étant réduits à la collecte de données sur le terrain (Carbonnier et Kontinen 2014 ; Molosi-Francea et Makoni 2020). C’est ce que reconnaît un récent rapport de l’UNESCO sur l’aide internationale à l’enseignement supérieur, qui suggère que les espaces universitaires peuvent et doivent être mobilisés pour changer notre “approche et notre mentalité sur la signification de véritables partenariats [North-South] ” (Galán-Muros et al. 2022, p. 54). Au sein de l’Union européenne (UE), la coopération internationale dans le domaine de l’enseignement supérieur est une priorité qui répond aux objectifs de promotion de l’excellence éducative et de réponse aux changements mondiaux. Si la coopération éducative entre les États membres de l’Union européenne a une longue histoire, le développement de sa dimension internationale est de plus en plus prioritaire dans les flux de financement de l’éducation de l’UE (AEE 2024). De même, les pays européens et leurs agences de développement ont souligné l’importance des collaborations universitaires dans le cadre de leur politique étrangère et de leurs stratégies de développement. Au Portugal comme en Espagne, les universités sont reconnues comme des acteurs clés de la coopération internationale, comme le montre la nouvelle stratégie portugaise de coopération au développement (ECP 2030), qui souligne le rôle des établissements d’enseignement supérieur et des partenariats dans la réalisation de ses objectifs centrés sur le développement humain, et comme le note l’Observatoire espagnol de la coopération universitaire pour le développement, lancé en 2008 avec le soutien de l’agence espagnole de développement international. Enfin, la coopération universitaire au développement s’inscrit également dans l’engagement de l’Union africaine, énoncé dans son agenda stratégique 2063, de développer une société africaine du savoir fondée sur la recherche et l’innovation, dans divers ODD (ODD 4, ODD 9.5, ODD 17) et dans la déclaration commune des universités africaines et européennes sur le rôle de l’enseignement supérieur et des partenariats universitaires dans la coopération au développement (AUA et EUA 2010 ; ARUA – La Guilde 2020). Pourtant, la coopération internationale au développement facilitée par les universités est peu explorée comme modalité d’aide ou comme objet de recherche académique (Arocena at al. 2015 ; Galan-Muros et al. 2022), et est actuellement fragmentée au point qu’il n’y a pas d’accord sur le choix du terme pour décrire ce type d’activités (Pollet et Huyse 2019, p.16). S’inspirant des recommandations susmentionnées visant à établir des partenariats Nord-Sud plus équitables et différents de la logique développementaliste du Nord opérant sur le Sud, ainsi que de la recherche critique sur le développement et des études postcoloniales sur les systèmes de production de connaissances (Ndlovu-Gatsheni, 2017), le panel proposé explorera les leçons apprises, les défis et les pistes pour améliorer la coopération internationale au développement Nord-Sud facilitée par l’université. De telles collaborations, selon nous, ont le potentiel non seulement de promouvoir d’importants objectifs de développement, à la fois directement et par des effets en cascade, mais aussi de faire progresser la science en exposant les biais épistémologiques et en enrichissant les perspectives scientifiques sur le “développement” lui-même. Le panel se concentrera principalement sur les relations universitaires euro-africaines. Il accueillera les enseignements tirés d’études de cas, ainsi que des présentations conceptuelles portant sur les subtilités et les complexités des relations Nord-Sud à court et à long terme, provenant de l’ensemble des sciences sociales et des chercheurs engagés dans la recherche appliquée (par exemple, dans le domaine de la santé ou de l’agriculture). Les présentateurs partageront leurs expériences d’initiatives collaboratives, telles que les collaborations de recherche traditionnelles et les échanges d’étudiants et de personnel, mais aussi des formats plus innovants, tels que les ateliers de coapprentissage collaboratif, les modes de collaboration centrés sur l’étudiant tels que l’apprentissage par projet, ou les explorations expérimentales ouvertes par le biais de “laboratoires sociaux” universitaires. Les présentateurs peuvent également se concentrer sur les aspects bureaucratiques de la coopération internationale au développement facilitée par les universités, en s’attardant par exemple sur les processus d’approbation institutionnels ou gouvernementaux. Une attention particulière sera accordée aux tensions possibles entre l’impératif d’une collaboration plus équitable et les entraves bureaucratiques des structures et exigences de financement de facto, telles que la (non-)implication des (co-)PI du Sud. Bien que les présentations puissent porter sur un éventail de contextes Nord-Sud, les expériences impliquant des universités ibériques et leurs homologues africaines sont particulièrement bienvenues. Ce panel s’inspire de la preuve de concept AfDevLabs du CER (actuellement en cours de soumission), qui s’appuie sur un format d’apprentissage par projet pour développer un laboratoire collaboratif autour des traces d’anciennes interventions de développement euro-africaines. Si la demande de preuve de concept est acceptée (résultats attendus en juin 2024, démarrage prévu en septembre 2024), les collaborateurs universitaires du projet en Europe et en Afrique seront encouragés à soumettre des présentations au panel. La participation potentielle de ces collaborateurs internationaux au panel, qui coïncidera avec une réunion de planification du projet à Lisbonne en janvier 2025, revigorera le débat sur les modes équitables de collaboration universitaire en ancrant la discussion dans une initiative nouvelle et expérimentale de collaboration universitaire Nord-Sud.

Bibliographie

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